Community builder ?

C
Note :  Cet article a été écrit le 26 Janvier 2020.

Jeudi dernier j’étais à un Meet Up, le premier du nom #Community Builder dans les locaux de AirBnb et organisé par MixLab. Étant moi-même dans des logiques d’animation communautaire, j’y suis allée faire un tour.

C’est un environnement qui ne m’était pas familier et j’ai été assez impressionnée par le nombre de mots en anglais utilisés dans un événement francophone. Loin de moi l’idée de vouloir faire du patriotisme mais je me demande si traduire dans une autre langue ne crée pas de la confusion sur le sens. Un talk, est-ce un discours, un monologue, un exposé ? Une intervention peut-être ?

Pour un Community Builder devrions nous dire des bâtisseurs de communauté ? Des facilitateurs de communauté ? Des développeurs de communauté ?

Je laisse le parti pris à d’autres, il m’importe plus qu’on parle de la même chose plutôt que de faire de l’innovation linguistique.

Pour l’instant ces Community Builders portent des titres diverses : Head of Community, Head of Ecosysteme, Ecosysteme Builder, responsable communication et communauté, Talent Manager, Content and Community Manager, Community Specialist, Office and Happiness Manager, StartUp Success Manager, Sustainability Project Leader, Tech community ambassador ou simplement Community. (Ce ne sont que de vrais intitulés parmi les participants de l’événement). Cela en dit long sur les différentes facettes de cette activité et ses objectifs.

La soirée était orientée autour de 3 talks tenus par des Community Builders présentant chacun une réalité du métier. Je vais vous faire le tour des différents cas. Gardez en tête que je ne compte pas faire un contenu fidèle ni exhaustif mais absolument subjectif dans lequel je ne me priverais pas de digression.

La communauté pour fidéliser des salariés

Par Guillaume Grillat, Tech Community Ambassador chez Deezer

Ce n’est pas que Deezer ait un taux de turn over particulièrement élevé mais il subit une tendance générale de son secteur d’activité ultra concurrentiel (environ 2 ans). À une rue de leur locaux, il y a ceux de Google qui proposent parfois le double de leur paie à leurs salariés. Guillaume était recruteur auparavant et il disait avoir l’impression de remplir un panier troué..

Autre constat : s’il y a quelques années, la culture d’entreprise était le principale outil de fédération, aujourd’hui la nouvelle génération n’est absolument plus touchée par cet argumentaire. La nouvelle génération reste en poste si elle a des copains/amis dans son cadre de travail.

Alors voilà l’enjeu de ce community builder : Comment au sein d’une entreprise réussir à créer du lien entre salariés ? En d’autre terme une communauté de salarié.

Déjà avec tout ce qui commence en « Peer », peer-learning, peer-coding etc.. Ce qu’on constate c’est un élan vers davantage d’horizontalité et de relation entre pairs. C’est inspirant car c’est ici un exemple extrême de chouchoutage de salariés et leur expérience pourrait s’exporter.

Et puis il y a aussi l’évènementiel. Mais comment faire ? Les déjeuners d’entreprise sont souvent vus comme une corvée ou un effort diplomatique. Je ne me souviens plus exactement des détails mais voici ce que j’ai retenu de leur solution. Au sein de Deezer, il y a création de « matrices », comme des pôles d’activité qui correspondent à des communautés déjà présentes dans la tech. On crée des groupes de travail en s’inspirant de la structure des communautés existantes. En d’autres mots, ça permet de créer du lien entre salariés en surfant sur une communauté existante.

De cette façon, on développe des animations en lien avec les communautés déjà actives. Le piège dans lequel il ne faut pas tomber étant que le community builder chapeaute tout. Quand ce dernier a réussi c’est que les événements arrivent de l’initiative des salariés, et ça, hormis la satisfaction du community builder, c’est difficile d’en faire un livrable mesurable..

La communauté pour développer un marché

Par Faustine Rohr-Lacoste, Head of Community @Spendesk & CFO Connect

Spendesk est une entreprise qui propose des outils de gestion à des directeurs financiers. Afin de développer son marché, elle crée CFO.Connect, une communauté qui a pour vocation de faire se rencontrer les pairs de la profession.

On a là beaucoup de personnes avec les mêmes problématiques qui sont souvent isolées au sein de leur entreprise. Un bon terreau pour fédérer une communauté.

Pour que cette communauté émerge, un des ingrédients que j’ai le plus retenu est la création d’une « safe zone » ou « zone de sécurité ». On ne se rend pas bien compte mais quand on est directeur financier, on peut être rapidement harcelé par des vendeurs en tous genres. C’est donc une mission du community builder de créer cette zone de confort en sécurisant l’événement par rapport aux prédateurs avec un système de filtre.

Cette approche a beaucoup fait écho en moi, cela m’a rappelé la communauté LGBT qui est selon mes critères un modèle. Leur visibilité dans leurs revendications, leur solidarité, la richesse de leurs échanges online ou offline et leur absence de leader identifié en font un exemple en terme de communauté forte. Dans cet exemple aussi, on remarque que si elle a pu se construire et se développer ainsi, c’est en créant des zones de sécurité où les membres peuvent se retrouver en se sentant libérés de tout jugement et de toute agression. L’entre soi est aujourd’hui mal vu, on parle de lutte contre le communautarisme (https://www.valeursactuelles.com/politique/lenieme-promesse-de-plan-contre-le-communautarisme-de-macron-114524). Mais regardons la définition de communautarisme de plus près : Tendance à faire prévaloir les spécificités d’une communauté, des communautés (ethniques, religieuses, culturelles, sociales…) au sein d’un ensemble social plus vaste. Cette idée de lutte contre le communautarisme en générale me paraît être un peu hypocrite. Créer un cocon pour des personnes qui partage les même problématique et la même vision est certe une forme d’entre soi. Mais en ce qui me concerne, je constate que c’est une condition nécessaire à la consolidation des communautés.

On a ici l’application de la maxime qui dit qu’on ne crée pas de communauté, on la fédère. Il s’agit de réunir des personnes isolées au quotidien dans leurs problématiques mais qui ont de nombreux pairs. Il s’agit de poser le cadre des rencontres et la mayonnaise monte d’autant plus que le rapprochement est pertinent. Et plus le rapprochement est pertinent plus il est exportable à l’étranger.

La communauté pour un projet humanitaire

Par Rachel de Makesense

Cette intervention a été ma préféré. Rachel a commencée il y a 4 ans aux Philippines toute seule à développer la communauté Makesense. Je ne me rappelle plus les chiffres mais aujourd’hui c’est 100 000 personnes mobilisées autour de cette association. Elle raconte comment elle a développé la communauté avec quasiment aucun budget.

Souvent c’est quand on est sans budget, qu’on est le plus censé..

Voilà ces tips :

Agilité, un classique qu’on connaît bien..

L’agilité quand on construit une communauté, c’est construire avec les besoins et envies exprimées de la communauté, pas les supposées. Elle raconte l’échec d’un lancement coûteux d’une plateforme d’atelier d’intelligence collective complètement déconnectée des usages de la communauté. On connaît tous des histoires semblables. Alors voilà une belle étude à mener, comment rendre compte des usages numériques d’une communauté ?

Le 1-to-1 ou Avoir des amis

C’est là la plus grosse différence entre le Community manager et le Community Builder. Le Community Manager tente de toucher largement et d’augmenter de façon concrète des chiffres, comme le nombre d’abonnés Facebook ou Instagram. Le Community Builder a cette difficulté que son travail est très difficilement quantifiable puisque celui ci va plutôt construire des relations de personne à personne de qualité. Ce premier maillage constitue le socle de la communauté. De la qualité et de la sincérité de ce maillage dépend la solidité de la communauté.

Faire – faire avec – faire faire

Faire: Le community builder teste des formats d’événement, c’est le moment des doutes et de la solitude. Il essuie des échecs, recommence, peaufine avec les retours des participants jusqu’à arriver à une formule qui tient la route. Surtout il la documente.

 Petite digression : Je pense que tout community builder devrait avoir lu ce wiki :     https://opensource.guide/fr/building-community/. Il s’agit d’un document contributif qui vise à aider les développeurs de projet open source à animer leur communauté de contributeurs. Il y a beaucoup à en apprendre!       

Par exemple, le format « tour de quartier », une visite de quartier sous l’angle des initiatives locales positives (https://community.makesense.org/fr/tour-de-quartier/).

Faire avec: Une fois que le format est clair, simple et fonctionne, embarquez des gens dans l’organisation.

Faire faire: La réussite c’est quand vous vous faites inviter sans avoir rien fait. Au lieu de ne compter que sur vous pour organiser des tours de quartiers, vous pouvez vous réjouir de pouvoir compter sur un nombre potentiellement exponentiel de personnes partout en France.

Une petite recette

Je dis souvent qu’il n’y a pas de formule magique mais Rachel en a trouvé une. Je l’utilisais sans le savoir.

Ecoute – Appel à l’action – Valorisation

  • Ecoute

Il s’agit d’avoir les antennes en grands écarts et d’aller découvrir les gens et de les écouter. C’est facile et c’est sympa.

  • Appel à l’action

On sait que les appels collectifs seuls ne marche pas très bien. Les phrases comme « N’hésitez pas à contribuer ! » ou « Sentez vous libre de faire des suggestions ! » ne marchent pas… En revanche, suite à la phase « Écoute », on est en moyen d’aller chercher la bonne personne avec un cadre de contribution claire et précis : « J’ai vu que tu étais trop balèze pour écrire des messages motivants, t’es chaud de rédiger l’event Facebook de la soirée? »

  • Valorisation

Ici nous avons le point le plus délicat, celui qui peut être le plus compliqué à mettre en œuvre : La valorisation sera de prendre soin des contributions, de les ajouter au tout et de les mettre en lumière, de les rendre utiles.

Plus loin sur la valorisation

Se sentir utile est pour moi une clef. Pourquoi les gens s’impliquent ? Dans la plus haute vision je dirais par solidarité dans le cadre de l’adhésion à un projet commun. Communauté du latin “communis”, communauté, lui-même issu de “cum”, avec, ensemble et de “munus”, charge, dette : charges partagées, obligations mutuelles.

Il n’y a rien de pire que de se sentir inutile ou de ne pas avoir de considération. Être utile, c’est souvent évalué au regard des autres. Il paraît que Linus Torval remerciait plus qu’il ne codait.

En titre de conclusion, je parlerais du premier tips que nous a partagé Rachel :

Avoir une raison d’être claire

C’est presque le plus important et je pense qu’il n’y a pas grand-chose à dire de plus. Plus c’est claire, plus la communauté est cohérente et autonome et les membres peuvent se l’approprier facilement.

La raison d’être de Makesense : « Inspirer et équiper les citoyens, entrepreneurs et organisations pour construire ensemble une société plus inclusive et durable. »

Parfois elle est claire sans être explicitée. Pensez la raison d’être de la communauté Linux, essayer d’en sortir une phrase. Compliqué, non ? Parce que la raison d’être n’est que la poignée qu’on pose à un concept plus large pour aider à s’en saisir : La vision. Là ça devient plus compliqué qu’une phrase ^^ ce sera peut- être même l’objet d’un autre article. Une vision c’est notre cartographie personnelle de la vie et des projections qu’on y fait. Par quelle magie arriverions-nous à en extraire la substance et à accorder nos violons pour former une communauté ? Définitivement, il n’y a pas de formule, ce ne sont que des personnes qui discutent 🙂

Et le métier de Community Builder serait en fait de construire le cadre dans toutes les dimensions du mot pour permettre que les gens discutent et puissent s’encapaciter pour la mise en œuvre en commun d’un projet.

Très intéressante cette soirée, elle m’a permis d’expliciter l’implicite. Parfois je n’ai l’impression d’avoir aucun livrable alors que j’ai passé un temps fou à discuter avec plein de gens et je sais qu’en faisant ça j’ai crée une valeur précieuse, mais elle n’est pas quantifiable, ni même visible. Pourtant sur le long terme, je sais d’expérience qu’elle est redoutable.

Ainsi je finirais sur cette question ouverte, comment facture-t-on le fait de nouer des relations sincères autour d’une vision ?

Faustine, Guillaume et Rachel sont salariés et comme dit Faustine, il n’y a pas de livrable mais on lui fait confiance. Mais comment ça se passe quand on est Community Builder en freelance ?

Alice

26/01/2020

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About the author

Alice Poggioli

1 Comment

  • […] Pour engager leurs salariés, Deezer et beaucoup d’autres, ont misé sur l’animation communautaire. Le but est de créer des liens. Les animateurs communautaires se révèlent et se professionnalisent.  Je ne reviens pas sur le métier, j’en ai déjà parlé dans cet article.  […]